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Pourquoi Borges

La réputation internationale de Jorge Luis Borges (1899-1986) cache parfois ce que, au-delà de la jouissance, ses écrits peuvent offrir comme objet organique à la recherche interdisciplinaire.

Borges a légué une littérature prolifique, qui se distingue paradoxalement par son internationalisme et par l'amour nostalgique de quelques lieux, mythiques ou minimes: Buenos Aires, le Sud, l'Islande, l'Angleterre, l'Orient lointain, certains patios, certains coins de rue. Grand passionné de la mythologie et des langues nordiques, il en arriva à étudier de manière systématique le vieux scandinave.

Bien avant que son propre pays ne le reconnût officiellement, les intellectuels européens furent les premiers à découvrir et à proclamer son originalité.

Comme l'ont dit Ivan Almeida et Cristina Parodi lorsqu'ils ont fondé le Centre Borges au Danemark en 1995:

"Un philosophe dela poésie et un poète de la philosophie, Borges présente chacun de ses écrits comme des énigmes ontologiques. Et, réciproquement, une histoire ou un poème de Bprges prend souvent la form d’un traité.

Des ontologies fantastiques, des étymologies transversales, des généalogies synchroniques, des grammaires utopiques, des géographies romanesques, de multiples histoires universelles, des bestiaires logiques, des syllogismes ornithologiques, des éthiques narratives, des mathématiques imaginaires, des thrillers théologiques, de nostalgiques géométries et des souvenirs inventés, font partie du paysage immense que les œuvres de Borges offrent au studieux ou au lecteur en quête de jouissance.

C'est certes avec raison qu'on a présenté Borges comme le plus grand érudit du siècle, cependant, la lecture de ses écrits continue à régaler le lecteur avec des moments d'intacte émotion ou de simple distraction.

Homme de fiction et de littérature, mais paradoxalement préféré des sémioticiens, des philologues, des mathématiciens et des mythologues, Borges offre, par la perfection de son langage, par l'ampleur de ses connaissances, par l'universalisme de ses idées, par l'originalité de ses fictions, par la beauté de sa poésie, une véritable Somme qui honore la langue espagnole et l'esprit universel.

Borges disait qu'il mettait moins de fierté dans ses écrits que dans ses lectures. Et il est vrai que souvent ses imitateurs sont de piètres écrivains, tandis qu'un véritable 'borgesien' se caractérise par la qualité de sa lecture. Aussi, le Centre a-t-il comme mission non pas l'exégèse de l'écriture de Borges (bien qu'il ne l'exclue pas), non pas sa personne historique, mais, d'une certaine façon, sa forme de "lire". Sa forme de lire le livre, cet univers. Sa forme de lire l'univers, ce livre...

Cela configure un certain 'style', qui combine, et quelquefois brouille savamment, des genres incompatibles. Profondément philosophe de la poésie et poète de la philosophie, il présente chacun de ses écrits comme une énigme ontologique. Et réciproquement, un récit ou un poème assume souvent chez lui l'allure d'un traité.

Ce 'style' de lecture des choses qui caractérise Borges peut être assimilé àune pratique d' 'épistémologies Transversales'. Cette transversalité n'est pas un nouveau cas d' 'interdisciplinarité', car il s'agit moins ici d'une confluence de méthodologies que d'un déplacement épistémologique d'un champs de pertinence vers un autre (quelque chose comme un 'hypallage' scientifique...). Tel est le point de départ de l'aventure du Centre."